Le conte de l’homme qui se sentait toujours indigné

Le conte de l’homme qui se sentait toujours indigné

 

Le conte de l'homme qui se sentait toujours indignéCe que nous dénonçons à l’extérieur de nous comme inacceptable se trouve souvent logé depuis longtemps au plus secret de nos pensées ou de nos comportements.Il était une fois un homme qui vivait en état d’indignation permanente.

Trop de sensibilité à la bêtise, une intolérance à la médiocrité, une vulnérabilité trop grande à l’injustice, une fragilité ancienne aux abus de pouvoir. Tout cela faisait qu’il réagissait, s’enflammait, s’emportait parfois. Et même, plus souvent que la moyenne des hommes et femmes de ce monde. Il survivait entre deux états inconfortables, la révolte et la colère.

Il ne se passait pas de jours sans qu’un événement, une parole, ou un simple geste ne lui paraisse inapproprié, inadéquat ou inopportun. Sans qu’un comportement, une conduite observée ne réveille en lui une poussée d’adrénaline qui le force à se manifester. A dire ce qu’il pensait de l’événement, de la parole ou du simple geste qu’il avait vu ou entendu. Que cela d’ailleurs puisse le concerner directement ou plus indirectement, il se sentait obligé d’intervenir.

Vous allez penser, à juste titre, que ce mode de vie devait l’épuiser ou tout au moins investir l’essentiel de ses énergies. Détrompez-vous! Il gardait une ardeur juvénile intacte. Une fois en la vie toujours aussi vive. Une confiance et une croyance entières dans l’homme. Les années de déception ne semblaient pas avoir de prise sur lui.

Il possédait une curiosité jamais apaisée face aux comportements de ses semblables et un enthousiasme renouvelé pour tout ce qui touchait aux relations humaines. Il ne pouvait croire en la malignité ou l’intention mauvaise. En effet, il pensait chaque fois qu’il s’agissait d’un oubli, d’une erreur, d’une faiblesse passagère, d’un malentendu facilement compréhensible et donc réparable.

Il croyait que la prise de conscience, la bonne volonté, une vigilance plus grande éviteraient à l’avenir la répétition de ce qu’il considérait comme “de la sottise ou de l’inconscience”.

Un jour cependant, il dut se rendre à l’évidence

L’homme devait quand même y avoir dans l’homme une part de malignité bien installée. Confortablement inscrite dans son histoire et qui ne demandait qu’à s’exprimer.

Il y avait dans tout individu une part d’ombre et de conflit qui le violentait de l’intérieur. Qui l’angoissait et déséquilibrait au point de le transformer parfois en bourreau, en terroriste ou en pervers.

Il fut ainsi poussé à s’interroger sur lui même

“Mais qu’est-ce qui est chaque fois touché en moi, au point de me faire tant réagir? Qu’est-ce qui est réveillé, restimulé tout au fond de ma personne pour me propulser, me pousser à intervenir? Pour vouloir réparer ce qui m’apparaît inacceptable, injuste ou trop insupportable? Qu’est ce qui alimente en moi la source de cette indignation qui ne tarit jamais?”

Il fut alors confronté à la part d’ombre et de violence qui l’habitait aussi

A ces zones glauques et incertaines de lui-même qu’il avait repoussées au plus profond de ses oublis. Il fut étonné et consterné de découvrir en lui des espaces où la haine mijotait. Où la rage se terrait, où la violence se crispait, prête à exploser ou à bondir, où le mesquin et le sordide se prélassaient sans retenue.

L’homme sentit ainsi que dans tout homme, comme en lui-même, cohabitaient non seulement le pire et le meilleur. Mais surtout, l’imprévisible et l’innommable. Que le combat n’était pas tant à mener contre les autres mais à l’intérieur de soi. Tout au fond de soi-même, pour rester vigilant, centré, en accord avec ses valeurs de vie.

Il resta longtemps, jusqu’à la fin de sa vie, un être de cœur et de malheur. Mais avec une tolérance et une compassion plus grande pour ce qui surgit parfois d’incompréhensible et d’inacceptable chez l’homme. Car il s’avait que cette part d’inacceptable, de violent ou de destructeur pouvait aussi surgir de lui.

Jacques Salomé

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